Expulsion d’Allemands à Colmar, devant le cercle Saint-Martin, décembre 1918. Photographe : Jean Christophe. AD67, 2 Fi 5/500-2 Fi 5/508. Cote numérique : FRAD067_0100NUM0009_01. © Jean Christophe

13/02/2024 - Du malaise alsacien à l'autonomisme (1918-1928)

Les difficultés du retour à la France (1918-1928).

Conférencier : Jean-Noël Grandhomme (Université de Lorraine).

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« J’ai pu me rendre compte de l’importance considérable des problèmes de tout ordre que soulève le retour à la France des chères provinces : au point de vue économique, social, religieux, linguistique, l’Alsace et la Lorraine ont des intérêts spéciaux à défendre, qu’il faut bien connaître pour les soutenir et les faire triompher », déclare à l’automne de 1919 au Journal le général Hirschauer, dans sa profession de foi pour les élections sénatoriales. Évoquant les difficultés de l’heure, il estime qu’il « n’est pas douteux que des fautes lourdes ont été commises, qui pèsent sur la population. Avant tout, il faut à tout prix, ici, respecter les coutumes et les traditions. Vouloir absorber immédiatement dans le cadre de l’administration française l’Alsace et la Lorraine, que l’Allemagne a dotées d’un statut longuement étudié, est une folie. » L’Alsacien-Lorrain, conclut l’ancien gouverneur militaire de Strasbourg, « est têtu : il l’a prouvé en résistant pendant un demi-siècle aux manœuvres savantes et violentes à la fois des Boches… Il ne faut donc pas, du jour au lendemain, lui demander d’abandonner ce qui lui est cher. » Cette appréciation résume bien le phénomène connu sous le nom de « malaise (Unbehagen) alsacien-lorrain », qui a rapidement succédé, dès 1919, à « l’éblouissement tricolore ».

En effet, une fois les premiers instants d’euphorie passés, l’installation de l’administration et de l’armée françaises dans le territoire recouvré ne se fait pas sans quelques accrocs et un certain nombre de malentendus de part et d’autre. C’est toute la différence entre un espace imaginé et un espace réel. Les commissions de triage et les expulsions, les cartes d’identité différenciées, l’arrogance de certains fonctionnaires, qui croient avoir été envoyés dans une colonie ; les oppositionss avec les « revenants », ces Alsaciens-Lorrains de France qui ne connaissent pas les réalités d’une province qui a évolué en leur absence ; les incompréhensions linguistiques, les différences culturelles et religieuses, la crise de reconversion des entreprises, qui se traduisent notamment par de grandes grèves, mais aussi, de l’autre côté, la mauvaise volonté de ceux qui regrettent l’ancien régime allemand, ou, tout simplement, ne veulent pas sortir d’une certaine routine, se conjuguent pour créer petit à petit un climat quelque peu délétère. Du malaise, une frange de la population glisse vers l’autonomisme. Et, tandis que les militants « nationaux » s’agitent eux aussi, la grande majorité de la population reste loyale et modérée, mais indéniablement attachée à son particularisme.