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Zoom sur le décor de la façade nord

La façade nord est un espace emblématique du bâtiment, particulièrement réussi au plan esthétique et riche de significations. Œuvre de la graphiste Margaret Gray, elle mêle portraits d’Alsaciens et écritures de diverses époques… Photographies anciennes et écritures tissent ainsi un motif reproduit à 6 reprises sur des panneaux de verre d’environ un mètre sur deux.

Les portraits sont extraits d’un album de famille datant du début du XXe siècle. L’album, entré par voie de don aux Archives départementales du Bas-Rhin en 2004, y est conservé sous la cote 20 Fi (fonds Philos Beckert, du nom du donateur). Certaines mentions portées dans l’album permettent de conclure qu’au moins une partie des personnes représentées sont de la famille de M. Beckert. Référence évidente à la quête des origines, fondamentale lorsque l’on commence sa généalogie personnelle.

L’album est essentiellement composé de clichés réalisés par des photographes professionnels, ce qui explique la mise en scène de certaines photographies : le Pierrot et le Petit ramoneur, notamment, sont des photographies posées, mais elles reflètent malgré tout la réalité sociale ; les ramoneurs, par exemple, étaient souvent des enfants – il faut être fluet pour se glisser dans un conduit de cheminée –, et c’était de plus, souvent, des enfants abandonnés ou orphelins, qui devaient très tôt gagner leur vie. Bien évidemment, aucun photographe n’aurait pris la peine d’immortaliser un enfant des rues et le garçonnet, très probablement issu d’un milieu favorisé, est vraisemblablement déguisé.

L’idée de l’architecte Bernard Ropa était de montrer que l’invention, puis la généralisation, de la photographie a permis de démocratiser les galeries de portraits de famille – peints – qui étaient, jusqu’alors, réservées aux classes les plus élevées de la population. Toutefois, au début de l’histoire de la photographie, le passage devant un photographe professionnel était réservé, en général, aux privilégiés, ou aux événements particuliers, comme les mariages.

 « Pour ma part j'y vois une sorte d'instantané, à un moment historique, d'une famille du Bas-Rhin, ce qui est en cohérence avec la notion de généalogie, qui, avec les débuts de la photographie, permet à toutes les couches de la société de se constituer des galeries de portraits dans un album. Privilège jusque-là réservé aux aristocrates et gens fortunés aux temps antérieurs de la seule représentation picturale. Donc une sélection de photographies de cette période, révolutionnaire par la transmission devenue possible de l'image physique de chaque individu, me semble particulièrement pertinente sur un bâtiment d'archives ». (Bernard Ropa)

Cette façade permet également de placer les Archives départementales du Bas-Rhin dans leur contexte historique et géographique : l’institution est en effet ancrée dans son territoire. En ce sens, les illustrations, reflet des fonds conservés, auraient été différentes si, par exemple, il s’était agi d’illustrer les Archives d’un département corse ou breton. D’où les coiffes et costumes traditionnels dont les personnages sont vêtus.

Enfin, l’alternance des écritures et des portraits appelle l’attention sur l’importance de l’écrit dans les fonds conservés, ainsi que sur la période chronologique couverte (du Moyen-âge à l’époque contemporaine).

L’écriture la plus lisible date de l’époque de Charlemagne : on l’appelle la « minuscule caroline », elle s’est développée dans les monastères, qui ont connu à ce moment un important développement. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les époques où l’on écrit le mieux ne sont pas celles où l’on écrit le plus, bien au contraire : les moines avaient, et prenaient, le temps d’écrire soigneusement et de bien former leurs lettres. L’écriture du XVIe siècle est, à l’opposé, particulièrement difficile à déchiffrer… On y écrivait beaucoup, et il est devenu nécessaire d’introduire de nombreuses abréviations, qui rendent les textes difficiles à déchiffrer pour un non-initié. Un parallèle intéressant à mener avec les SMS d’aujourd’hui !

La technique utilisée pour les panneaux est, enfin, très particulière, puisqu’il s’agit de sérigraphie, qui consiste à imprimer un motif sur des soies, et à le reproduire sur des panneaux de verre ; leur pose a été un des moments forts du chantier.

La structure de l’image est composée de signes typographiques, au lieu des traditionnels points de couleur (pixels). Clin d’œil à l’importance de l’écrit aux Archives départementales !