Ami lecteur, pour que tu puisses consulter aisément des documents, sache que les archivistes, entre autres tâches préalables, indexent certains des fonds qui leur sont versés par les administrations...
... Par exemple, les dossiers d’anciens combattants de la Première Guerre mondiale.
Durant celle-ci, les soldats alsaciens et mosellans, sujets du IIe Reich de 1871 à 1919, ont combattu sous uniforme allemand. Au terme du conflit la décision fut prise d'accorder à ces soldats redevenus Français les mêmes droits qu’aux autres soldats, notamment en ce qui concerne l’attribution de la carte et de la retraite du combattant. Le service départemental du Bas-Rhin de l’Office national des Anciens combattants, qui traitait ces demandes, a versé le dernier de ces fonds aux Archives départementales du Bas-Rhin1 en 2013. Il s’est donc agi de rédiger un instrument de recherche sous forme de liste alphabétique des titulaires de ces dossiers. Or, ces versements comprennent 82580 dossiers nominatifs.
Et bien sache aussi, ami lecteur, qu’indexer la bagatelle de 82580 dossiers, si c’est indispensable pour que tu puisses retrouver facilement le dossier de ton arrière-grand-père, c’est aussi bien fastidieux. A éplucher au kilomètre ces pièces administratives, l’archiviste en arrive parfois à déplorer de ne pas avoir plus de substance sur ce qu’ils ont vécu. Car si ces pièces donnent des informations sur les affectations du soldat, elles ne disent rien de son quotidien.
…A participé à des combats près d’Ypres et sur l’Yser, à Krewo-Smorgon, près du lac Narocz, à Tweretsch…
Compulsant les dossiers les uns après les autres afin de réaliser un instrument de recherche, l’archiviste s’interroge parfois sur le quotidien de ces hommes, qui ont découvert l’Europe d’une manière pour le moins singulière.
…Komp. Infanterie Regt 376 du 05/02/1917 au 28/06/1918, combats de position sur la Beresina…
Car enfin, chaque dossier est une trace de l’expérience incroyable de jeunes gens, dont on suppose qu’ils n’avaient jusque-là que peu voyagé, campagnards pour la plupart, et qui se sont retrouvés ballotés pendant plusieurs années d’un bout à l’autre du continent dans des circonstances vraisemblablement effroyables.
…Ersatz Bataillon 236, combats en Flandres…
Cependant, le but de l’ONAC était de vérifier les droits des demandeurs, et non pas de composer pour chacun une biographie détaillée.
…Le ministre des pensions prie le préfet d’informer le susnommé qu’il est admis au bénéfice de la retraite du combattant…
Mais comment il les a traversées, Charles Schieber, de Meistratzheim, ces 4 années de guerre ? Et Henri Flick, de Maisonsgoutte ? Et le Schmitt Paul, de Schillick ? Und d’r Haeffele Sepp, von Risshoffe, comment a-t-il pris son incorporation ? Et tous les autres ?L’indexeur finit tôt ou tard par se le demander. Par curiosité, et aussi, avouons-le, par envie de rompre un peu la monotonie de l’indexation. Dans l’écrasante majorité des cas, il alimente son tableau en restant, lui, sur sa faim.
Mais parfois, une pièce un peu plus personnelle se cache au beau milieu de ces justificatifs ...Ainsi, dans le dossier de Monsieur G., ce courrier de 1965 où il explique pourquoi il estime, sinon avoir réuni les droits, du moins avoir bien mérité la retraite du combattant. La carte, il l’a déjà puisqu’il a été mobilisé de juin 1917 à novembre 1918. Mais pour la retraite, il faut justifier de 90 jours de présence au feu. D’après les textes réglementaires, M. Gerber, qui n’a servi qu’en garnison, jamais sur le front, ne peut donc prétendre à cette retraite. Il écrit donc pour contester cette décision, et explique pourquoi il est resté cantonné en garnison…
Le choix de ce document ne prétend pas illustrer une quelconque position générale des Alsaciens et Mosellans pendant la Première Guerre mondiale. Il ne vous est proposé que parce qu’à 97 ans de distance, ce témoignage manuscrit devient savoureux. La seule chose qu’il est permis d’en déduire, c’est que ce jeune homme était bien pointilleux quant à sa qualité d’Alsacien.
On remarquera que l’insulte « Wackes2 » est celle-là même qui, proférée par le sous-lieutenant von Forstner, avait été à l’origine de l’affaire de Saverne en 19133.
Frédéric
1. Versements 718 D et 844 D aux Archives départementales du Bas-Rhin. N’y figurent que des soldats ayant survécu au conflit et ayant fait la demande de la carte et/ou de la retraite du combattant. On y trouve aussi, dans une moindre mesure, des personnes ayant participé à la Deuxième Guerre mondiale.
2. Terme péjoratif désignant des voyous, et par extension les Alsaciens et Mosellans en allemand.
3. Panneau extrait de l’exposition " affinités électives ? 1911, l’Alsace-Lorraine et l’Empire allemand " réalisée en 2013 par le personnel des Archives départementales du Bas-Rhin